La SOCIÉTÉ de PSYCHIATRIE de l' EST

par le Professeur Léonard SINGER

La Société de Psychiatrie de l'Est fut créée en 1949 par le Professeur Eugène GELMA, titulaire de la chaire de psychiatrie de la Faculté de Médecine de Strasbourg et par son ami, le Docteur HAMEL, médecin chef de l'hôpital psychiatrique de Maréville et chargé du cours de psychiatrie à la Faculté de Médecine de Nancy.

L'EVOLUTION DE LA SOCIETE DE PSYCHIATRIE DE L'EST (S.P.E) de 1949 à 1980

A l'époque de sa création, cette société n'avait pas de statut juridique. Elle s'appelait « Réunion de Psychiatrie de Strasbourg-Nancy ». Elle organisait au printemps et en automne des réunions où les psychiatres de Strasbourg, de Stephansfeld, de Hoerdt, de Rouffach et les psychiatres de Nancy, Lorquin et Ravenel se rencontraient pour présenter leurs observations et leurs réflexions au sujet de problèmes psychiatriques les intéressant.

Les psychiatres libéraux étaient à l'époque particulièrement rares. La grande majorité des participants étaient alors les psychiatres des hôpitaux psychiatriques qui nous offraient les salles de réunion et parfois les repas. Nous nous déplacions à nos frais, puisque nous n'avions pas de fonds propres. J'ai occupé la fonction de secrétaire général depuis la création de la société en 1949 et jusqu'en 2000. Le secrétariat proprement dit était assuré par la secrétaire du Professeur GELMA.

Nous étions de véritables « nomades ». Chaque réunion avait lieu dans un hôpital différent : à l'hôpital psychiatrique de Stephansfeld ou de Hoerdt, ou à Rouffach où en 1954 nous fûmes accueillis par une fanfare en tenue alsacienne et où on nous offrit une énorme choucroute sous l'oil sévère du Docteur Frantz ADAM, médecin chef au verbe tonitruant. Il avait raconté à l'époque que lorsqu'il était combattant en 1914-1918 au « Hartmanswillerkop » (« le Vieil Armand »), une montagne au-dessus de Rouffach, il aurait crié en voyant Rouffach dans la plaine : « c'est là que je veux être médecin chef ».

En Lorraine, nous tenions nos réunions à Maréville, à Ravenel ou à Lorquin. A Strasbourg, nos réunions avaient lieu à l'amphithéâtre de la clinique psychiatrique. Le nombre de participants était variable mais il dépassait rarement une quarantaine de personnes.

Eugène GELMA était un fervent d'histoire. Lors d'une des réunions à Maréville, il avait organisé des « visites culturelles » à l'évêché de Toul et à Domrémy où nous visitâmes la maison de Jeanne d'Arc. A l'entrée, on pouvait lire sur une plaque : « les élèves sous la conduite de leur maître paient moitié prix ».

Nous nous tenions en file indienne derrière notre « patron », dont la secrétaire qui l'accompagnait devait prendre les tickets d'entrée. Soudain, le Dr LANTER, le psychanalyste de la clinique, sortit du rang et s'adressa au vieil homme à la caisse : « Nous sommes des élèves et voici notre maître » (en montrant GELMA), « nous ne payons que moitié prix ». Le vieil homme le regarda et lui dit : « vous vous "foutez" de moi » !

Comme notre visite culturelle dura deux jours, notre maître nous invita à passer la nuit dans un hôtel, réservé par sa secrétaire, à Nancy. Nous apprîmes par la suite que cet hôtel particulièrement primitif était en fait un hôtel « de passe », notre maître était en effet très économe de son argent !

Après le décès de notre « patron », en 1954, le Professeur Théo KAMMERER devint président de la société et au Docteur HAMEL succéda le Docteur HACQUART, médecin-chef à Maréville.

Le territoire de la Réunion de Psychiatrie Strasbourg-Nancy s'étendit. En 1960, nous fûmes reçus par l'hôpital psychiatrique d'Ettelbrück au Luxembourg dont les médecins chefs, les Drs WELTER et MISCHO, avaient été des élèves du Professeur PFERSDORF, titulaire de la chaire à Strasbourg avant Eugène GELMA.

En mai 1968, notre séance eut lieu à l'hôpital Bon Secours de Metz dans le service du Dr BERNHARDT, également élève de PFERSDORF. En 1969, le Dr POIROT nous reçut à Epinal. En 1971 nous nous déplaçâmes à la Clinique du Roggenberg à Altkirch et en 1972 à la Friedmat, dans le service du Professeur KIELHOLZ à Bâle. Nous avons été à plusieurs reprises à Colmar grâce au Docteur SICHEL, médecin chef du service de psychiatrie de l'hôpital Pasteur de Colmar. Le Professeur PASCALIS nous reçut à Reims en 1981 et le Professeur BOBON à Liège en 1985.

L'EXTENSION DE LA SOCIETE DE PSYCHIATRIE DE L'EST DE 1980 A NOS JOURS

En 1980, la société, qui devint la Société de Psychiatrie de l'Est, fut dotée d'un véritable statut juridique suivant la loi locale, équivalente de la loi de 1901 sur les associations à but non lucratif. Le Professeur Théo KAMMERER resta président. Le Professeur Michel LAXENAIRE devint vice-président, je restai secrétaire, le Docteur Jean-Marie WETTA devint trésorier. Le Professeur KAMMERER quitta la présidence en 1987 et le Professeur LAXENAIRE lui succéda comme président. Le 18 novembre 2000, LAXENAIRE et moi nous nous sommes retirés du Conseil d'Administration.

De nouveaux statuts furent alors élaborés, respectant scrupuleusement la répartition des fonctions entre membres nancéens et strasbourgeois, universitaires, hospitaliers et libéraux. Mme le Professeur Colette VIDAILHET de Nancy fut élue présidente, le Professeur Jean-Marie DANION de Strasbourg vice-président, Mme le Professeur Anne DANION-GRILLIAT de Strasbourg secrétaire générale, le Dr PAREJA de Nancy secrétaire-adjoint, le Dr Patrick SINGER de Strasbourg trésorier et Mme le Dr WESTPHAL de Nancy trésorière adjointe.

De 1949 à 1973, les réunions devinrent de plus en plus académiques. Elles comportaient des rapports et des communications libres mais, à partir de 1973, toutes les réunions furent consacrées à un thème fixé par le président et le secrétaire général, puis à partir de 1980 par le Conseil d'Administration. Egalement, à partir de 1973, les réunions furent souvent communes avec d'autres sociétés. Nous ne pouvons énumérer toutes nos réunions communes ; je voudrais cependant en citer quelques-unes unes pour montrer l'évolution de l'activité et de la notoriété de la Société de Psychiatrie de l'Est depuis 1973 :

  • à Strasbourg en novembre 1974 avec le Groupement d'Etudes et de Prévention du Suicide (présidence : Professeurs PICHOT et KAMMERER)
  • à Strasbourg en mars 1979 avec la Société Française de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent (présidence : Professeurs BETTCHART de Lausanne et P. TRIDON de Nancy)
  • à Nancy en mars 1984 avec la Société Franco-Maghrébine de Psychiatrie
  • à Liège en avril 1985 avec la Société Royale de Médecine Mentale de Belgique
  • à Nancy en novembre 1985 avec le Goethe Institut de Nancy : cette réunion consacrée au Centenaire des Ecoles de Nancy fut particulièrement importante puisqu'elle associait les travaux de Bernheim et Liébeault aux réalisations de Majorelle, Daum et Gallé
  • à Nancy en novembre 1989 avec la Société Médico-Psychologique de Paris : cette réunion resta célèbre par l'annonce faite lors d'une des séances du lundi de la Société Médico-Psychologique par son secrétaire le Docteur MARCHAIS : « mes chers collègues, j'ai le plaisir de vous faire part que notre société se rendra pour la première fois depuis sa création à l'étranger, à Nancy  » !
  • Le colloque organisé en novembre 2005 par la Société de Psychiatrie de l'Est avec la Faculté de Médecine de Strasbourg fut certainement l'un des plus importants depuis 1949. Il avait pour thème « Science, Médecine et Nazisme ». Il est à l'origine d'un livre paru en 2006 aux éditions Glyphe de Paris intitulé : « Nazisme, Science et Médecine ».

    PARALLELISME DES HISTOIRES DE LA S.P.E. ET DE LA PSYCHIATRIE FRANCAISE

    Nous sommes en 2007. La Société de Psychiatrie de l'Est a 58 ans. Nous pouvons aujourd'hui faire l'analyse de sa longue histoire qui couvre toute la deuxième moitié du 20 e siècle.

    Cette histoire s'inscrit tout d'abord dans l'histoire de la psychiatrie pendant cette période ; la Société de Psychiatrie de l'Est suit de façon remarquable son évolution. Je l'ai vécue personnellement puisque j'ai occupé les fonctions de secrétaire de 1949 (où j'étais interne du Professeur GELMA) à 2000. Les communications présentées, les thèmes et les présidents des journées correspondent à l'évolution : l'époque de la découverte des psychotropes, l'évolution de la prise en charge des malades mentaux, le conflit entre les tenants de la psychanalyse et ceux de la chimiothérapie, les discussions concernant les classifications internationales et les échelles d'évaluation. Tous ces problèmes ont été discutés au moment de leur actualité mais, je dois le souligner, pendant les réunions, les discussions entre tenants des diverses écoles sont toujours restées courtoises et calmes et n'ont jamais dégénéré en conflits sectaires, comme ce fut le cas parfois ailleurs.

    J'ai pu disposer de la liste des noms des présidents qui ont animé les réunions depuis 1949. Cette liste confirme notre analyse. Je relève d'abord un groupe de psychiatres particulièrement renommés à leur époque : en 1952 Mme le Dr FAVEZ-BOUTONNIER, en 1955 le Dr DAUMEZON, en 1960 le Dr FOLLIN, en 1961 le Dr Henri EY, en 1964 le Dr SIVADON, en 1965 le Dr BRISSET, en 1966 le Dr BONNAFÉ et en 1968 à nouveau le Dr Henri EY.

    En 1963 apparaissent les tenants de la psychiatrie biologique : en 1963 le Pr DENIKER, en 1964 le Pr KIELHOLTZ de Bâle, en 1965 le Pr POROT, en 1966 le Pr SUTTER, en 1967 le Pr PICHOT.

    A partir de la décennie 70, les nouvelles générations d'universitaires et d'hospitaliers leur succédèrent : en 1973 le Dr ROPERT, en 1975 le Pr ALBY, en 1977 le Pr KRESS, en 1978 le Pr PASCALIS, en 1979 le Pr BURNER (de Lausanne), en 1980 le Pr BESANCON, en 1981 le Pr SCOTTO, en 1983 le Pr Guy DARCOURT, en 1988 les Prs GAUDET et LEGER, en 1988 le Pr COLONNA, en 1990 le Pr COUDERT, en 1991 le Pr PULL (de Luxembourg) ; le Pr MORON de Toulouse a participé activement à plusieurs de nos réunions.

    Dans l'histoire de la Société de Psychiatrie de l'Est, je voudrais relever un aspect très particulier que je n'ai trouvé dans aucune autre société que j'ai connue : il concerne les relations amicales qui existent entre les membres de la Société de Psychiatrie de l'Est et de son équipe dirigeante depuis sa création puisque cette association a été créée grâce à l'amitié qui liait le Professeur Eugène GELMA et le Docteur HAMEL.

    Très curieusement cette relation amicale s'est maintenue dans les générations de psychiatres lorrains et alsaciens qui se sont succédées dans la Société de Psychiatrie de l'Est. Elle a pérennisé la convivialité des réunions et à pondérer les conflits du type de ceux qui opposaient les psychanalystes aux chimiothérapeutes.

    L'influence du Professeur Th. KAMMERER a certainement contribué à favoriser ces relations au sein de la Société de Psychiatrie de l'Est, tout autant que l'amitié qui nous unissait Michel LAXENAIRE, Lucien ISRAEL et moi-même.

    QUESTIONS SUR LE ROLE DES RELATIONS HISTORIQUES ET GEOGRAPHIQUES ENTRE L'ALSACE ET LA LORRAINE DANS LA CREATION ET L'EVOLUTION DE LA S.P.E.

    Je me suis souvent demandé, en réfléchissant aux causes de l'évolution particulière de la Société de Psychiatrie de l'Est au cours de la 2 e moitié du 20 e siècle, si on ne pouvait pas trouver au fond de nous-mêmes, Lorrains ou Alsaciens, certaines relations qui se sont établies du point de vue historique et géographique entre la Lorraine et l'Alsace. Nos deux régions se situent à l'est de la France. Elles ont été, depuis le partage de l'empire de Charlemagne, des territoires déchirés par des luttes incessantes entre l'ouest et le centre de l'Europe. Au cours du 19 e et du 20 e siècle, elles ont subi trois guerres (1870, 1914-1918, 1939-1945).

    La Lorraine, en 1870 et en 1940, a été amputée de Metz et d'une partie de son territoire, et l'Alsace a été annexée en 1871 au 2 e Reich allemand et en 1940 au 3 e Reich. La Faculté de Médecine de Nancy a été créée en 1872 pour prendre la relève de celle de Strasbourg. Notre colloque du 23 novembre 1985 nous l'a rappelé. En 1939, la Faculté de Médecine française de Strasbourg fut évacuée à Clermont Ferrand. Les nazis créèrent à Strasbourg en 1941 une Faculté de Médecine dont tous les professeurs étaient des nazis et trois d'entre eux des criminels de guerre. Notre colloque de Strasbourg en novembre 2005 a été consacré à cette période sinistre de notre histoire.

    Dans quelle mesure l'histoire de nos deux régions a-t-elle contribué à imprégner l'histoire de notre Société de Psychiatrie de l'Est ? On peut se le demander. Le lapsus du Docteur MARCHAIS en novembre 1989 aurait-il pu avoir un sens ?

     

     

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