Le psycho-trauma : une affaire d’État ?

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Le psycho-trauma : une affaire d’État ?

L’idée générale : le psycho-traumatisme est devenu un sujet politique. Ses conséquences sur la vie individuelle et collective, sont telles qu’elles appellent une réponse politique.

Depuis les attentats de Toulouse et de Montauban en 2012, la France est entrée dans un moment douloureux où pèse avec insistance la menace d’une attaque terroriste en tout point du territoire. De plus, les craintes ressenties par nos concitoyens en ce qui concerne leur sécurité se doublent d’une inquiétude liée à la multiplication des catastrophes naturelles que provoque le dérèglement climatique. Cet environnement anxiogène est nourri par le traumatisme individuel que vivent directement les victimes et par le souvenir que ces drames impriment dans la mémoire collective. En effet, la mémoire, pourtant intime, éminemment subjective, irréductible à chacun, est aussi collective. La société a une mémoire plus vaste et plus profonde encore que l’histoire ; un pays frappé par des catastrophes inédites à répétition est un pays dont la mémoire collective peut avoir une dimension traumatique. Ce n’est pas affaire que de psyché. Le politique a un rôle à y jouer, il a même l’obligation de tout mettre en œuvre pour aider chacun à se libérer de son traumatisme pour que tous puissent vivre de manière apaisée.

I Le psycho-trauma, qui touche à l’intime, est devenu un sujet politique.

Les victimes physiques et les blessées psychiques d’attentats, de catastrophes naturelles, d’accidents collectifs ou d’agression, sont confrontés au même choc : tout blessé physique conscient est aussi blessé psychologique, souffrant d’un choc émotionnel ou d’un traumatisme psychique. Ce choc provient de la confrontation avec la mort effective ou la menace de mort qui produit le trouble de stress post-traumatique. Ce stress a des conséquences biologiques[1], neuropsychologiques et psychanalytiques importantes, mais encore trop peu détectées. En effet, le trouble de stress post-traumatique est un trouble «  de la mémoire implicite émotionnelle[2] »,  se traduisant par des réminiscences intrusives qui envahissent totalement la conscience (flash-back, illusions sensorielles, cauchemars) et qui, comme le décrit Muriel Salmona, font revivre à l’identique tout ou partie du traumatisme. Ce trouble post traumatique rend la vie des victimes douloureuse voire infernale : elles revivent le drame et avec lui,  la même détresse, la même terreur et les mêmes réactions physiologiques, somatiques et psychologiques que celles vécues lors des violences.

Les conséquences sociales sont importantes, pour leur environnement proche et professionnel, mais aussi pour leur coût matériel et humain : une victime sur quatre souffre de maladies somatiques[3] : céphalées, dorsalgies, gastralgies, asthme, hypertension artérielle, ulcère d’estomac, eczéma, urticaire, psoriasis, canitie, alopécie, et même goitre et diabète. « La lésion psychosomatique serait un langage, un appel à l’aide, chez des sujets dont la culture réprime l’extériorisation de la souffrance psychique, ou chez des personnalités alexithymiques sans propension à la verbalisation, ni à la pantomime, ni à la représentation mentale : il ne leur reste, pour se plaindre, que le langage de l’organe[4] ». La quasi totalité des traumatisés présente aussi des troubles des conduites et des troubles caractériels tels que les troubles de la conduite alimentaire : anorexie ou boulimie, ou des conduites à risque : consommation excessive de tabac, d’alcool ou de drogues diverses (toxicomanie post-trauma). Il s’agit ensuite de conduites d’auto-agressivité (tentatives de suicide) ou d’hétéro-agressivité (altercations, rixes) et même de conduites d’agression délictueuse ou criminelle.

La particularité de la mémoire traumatique est son caractère irréductible : le trouble post traumatique ne peut être assimilé à aucun autre et ce pour au moins deux raisons.

  1. La première c’est que le trouble post traumatique est propre à la personnalité de la victime et à son passé. Il est foncièrement original, spécifique, unique. Ainsi, certaines victimes ont des facteurs de vulnérabilité qui augmentent le risque de trouble post traumatique : des difficultés émotionnelles durant l’enfance, des antécédents de troubles psychiques personnels et familiaux, des problèmes relationnels (dysfonctionnements familiaux) ou un environnement socioéconomique précaire sont autant de facteurs aggravants. D’autres ont des facteurs protecteurs tels que, chez l’enfant, une relation parent-enfant positive, un soutien de l’environnement et un soutien familial. Chez l’adulte, c’est la capacité à prendre de la distance par rapport aux événements, à maitriser les situations, à avoir des projets de vie affirmés et le sens positif de l’existence qui sont autant de facteurs protecteurs[5].
  2. La seconde est que le traumatisme dépend aussi de la nature du drame : attentat, accident collectif, catastrophe naturelle mais aussi de son intensité et de la gravité des blessures, de la violence interpersonnelle, de l’intentionnalité de l’agresseur ou de l’intensité de la menace perçue.

Si la mémoire traumatique est intime, ses conséquences sociales sont telles que le politique doit intervenir : d’abord pour contribuer à faire cesser la souffrance individuelle des victimes et de leur proches, ensuite pour empêcher que cette souffrance n’ait un impact négatif sur les plan sanitaire et social pour l’ensemble de la société. Le politique a ainsi sa place pour aider les victimes à se reconstruire, quelle que soit la profondeur de l’intime.

II Aider les victimes à transcender la mémoire traumatique pour une résilience collective.

Aider les victimes à se reconstruire en soignant le traumatisme est une question politique tant les attentes que suscite la survenance de drames d’ampleur nationale sont importantes.

En premier lieu, outre les victimes qui attendent le soutien et la solidarité légitime des pouvoirs publics, la communauté nationale, prise à témoin par les images et les récits médiatisés par la presse et les réseaux sociaux, est aussi, d’une certaine manière, la victime plus lointaine du drame. Elle attend donc que les responsables politiques soient capables de faire face à l’obstacle et de reconstruire ce qui a été détruit, même si les attentes sont plurielles, variés, et parfois contradictoires.

En second lieu, les victimes ont globalement quatre grands types d’attentes qui s’expriment de façon récurrente[6] : la première est une attente de secours et de neutralisation de la souffrance comme le soin apporté aux victimes psychologiques ; la seconde est une attente de justice : le procès et la punition publique, son symbole historique et social et politique sont nécessaires pour la reconstruction ; la troisième est une attente de compensation et de réparation. L’indemnisation est la somme d’argent qui peut être une réparation symbolique de la souffrance, mais elle n’est jamais que symbolique dans la mesure où la souffrance morale ne se chiffre pas et ne peut pas être réparée par une somme d’argent.

La réponse des pouvoirs publics doit donc être à la hauteur des attentes matérielle et symbolique.

a) la réponse matérielle : les services d’aide et de secours d’urgence

L’intervention matérielle des pouvoirs publics est évidemment indispensable, et ce au nom de la solidarité qu’une collectivité doit à ses membres lorsqu’ils sont en souffrance. En France, l’Etat est perçu comme un prestataire de services publics, mais aussi, depuis la création du Secrétariat d’Etat à l’aide aux victimes, comme le responsable de la reconstruction des « victimes de la vie ». Il ne s’agit pas de proposer une politique compassionnelle au nom d’un certain « ordre protectionnel[7] », mais d’offrir un cadre qui permette à ceux qui sont frappé par la fatalité,  de retrouver le goût de vivre, la force d’affronter l’avenir ou, pour certains, les moyens de leur résilience. A cet égard, l’intervention des forces de secours, pompiers, forces de l’ordre, sécurité civile, médecine d’urgence, associations de victimes, est décisive.

Beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire, surtout en matière d’accompagnement psychologique et pour soigner la mémoire traumatique. Ainsi, la prise en charge médico-psychologique des victimes au sein des cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) est une avancée unique au monde : elles ont été crées en France en 1995 par Xavier Emmanuelli, secrétaire d’État à l’action humanitaire d’urgence, sur instruction du président de la République Jacques Chirac à la suite de l’attentat du RER B à Saint-Michel à Paris, le 25 juillet 1995. Néanmoins, elles ne sont actives que dans l’urgence, c’est-à-dire dans les jours qui suivent le drame mais les troubles post traumatiques peuvent se révéler bien après, et les CUMP devraient pouvoir être transformées en cellules d’urgence et de suivi médico-psychologique (CUMPS), tant il est vrai que la prise en charge du trouble post traumatique doit pouvoir advenir dans la durée.

Plus récemment, la médecine civile s’est adaptée à cette nouvelle donne, en initiant, par exemple, des méthodes qui s’inspirent de la médecine militaire, plus expérimentée et plus habituée à dispenser ses soins aux combattants souffrant de névrose de guerre et aux victimes civiles des bombardements, mais ces expérimentations sont encore trop limitées. Par ailleurs, la spécificité des prises en charge des troubles post traumatiques et encore trop peu connue par les professionnels de santé pas assez formés  : les prises en charge se font donc avec retard, ce qui est préjudiciable à l’efficacité du traitement[8] et aucune spécificité n’est accordée au traumatisme chez l’enfant, alors même qu’il doit être soigné et pris en charge par des pédopsychiatres, hélas trop peu nombreux[9].

Enfin, l’approche doit par ailleurs être globale et psychosociale : la détection des difficultés, par les relais sociaux tels que l’école, les associations de victimes, les cercles sociaux sont indispensables. La nécessité de favoriser l’interdisciplinarité et la mise en réseau de tous les acteurs de l’aide aux victimes est aujourd’hui partagée, mais elle tarde encore à trouver un lieu physique et numérique approprié.

A cet égard, il importerait de créer un centre national de la résilience[10]. Il s’agirait, l’instar des expériences tentées notamment en Israël, de mettre en place un centre pour favoriser la reconstruction. En France, et comme prévu par le rapport de Françoise Rudetzki, ce centre permettrait de favoriser la recherche pour recenser et partager l’état des savoirs et approfondir, dans une approche interdisciplinaire, la prise en charge des traumatismes psychologiques, induits par des actes de terrorisme, les catastrophes naturelles, les accidents collectifs ou les violences pour améliorer les modalités de prise en charge psychologique des victimes et ainsi faciliter leur reconstruction.

b) la réponse symbolique : le poids du discours politique, du récit national et des commémorations

La notion de victime, au sens politique et non juridique, doit être considérée aussi de manière extensive : les catastrophes concernent, à des degrés divers évidemment, tout le monde tant le rôle des médias peut être amplificateur d’anxiété. Les psychiatres ont ainsi constaté des cas de syndrome de stress post-traumatique affectant des personnes qui n’étaient pas présentes sur les lieux mais avaient simplement suivi les retransmissions télévisées. De tels phénomènes ont été constatés dans d’autres pays ayant subi des catastrophes de masse ou des attentats. Le discours des responsables politiques, qui s’adressent à tous, et pas seulement aux victimes directes, en est le signe contemporain.

A la nécessité d’une intervention matérielle s’ajoute donc la force de la réparation symbolique des pouvoirs publics. Elle est souvent plus importante que ce que l’on pourrait croire. La capacité du politique à donner un sens à ce qui n’en a pas tant le drame est horriblement absurde, bêtement cruel, et désespérément insensé est essentielle. Et c’est précisément pour cette raison que le politique doit mettre en récit l’événement dramatique, l’expliquer, tenter de le comprendre c’est-à-dire décrypter d’où il vient, qui l’a commis, pour quelles raisons, et pour quoi faire. Donner un sens, pour mieux appréhender, pour mieux le dépasser, le combattre et pour mieux réparer les victimes, protéger la communauté nationale, puis reconstruire et enfin montrer un chemin.

La réactivité avec laquelle les responsables politiques se déplacent sur le site des drames, qu’il s’agisse d’un attentat comme ceux de 2012, de 2015 et de 2016 (Toulouse-Montauban, Paris, Nice) ou d’un ouragan, de l’ampleur d’IRMA en septembre 2017 à Saint Martin, peut sembler dérisoire au regard des souffrances, mais elle répond à ce besoin de présence et de discours politique du chef de l’État ou des Ministres. Au delà de la présence physique, les mots, quand ils sont bien choisis, sont un hommage aux victimes. François Hollande, Président de la République après les attentats de janvier 2015 : « la France se tient et se tiendra à leurs côtés » ; Manuel Valls, Premier ministre : « Et la Marseillaise, tout à l’heure, qui a éclaté, dans cet hémicycle, était aussi une magnifique réponse, un magnifique message aux blessés, aux familles qui sont dans une peine immense, inconsolable, à leurs proches, à leurs confrères ».

Enfin la reconnaissance symbolique pour les victimes directes et indirectes s’exprime au moment des commémorations et des hommages aux victimes : la plupart des victimes des événements traumatiques que j’ai rencontrées réclamaient un moment de commémoration symbolique à la date anniversaire du drame. Ces moments sont indispensables pour faire sens, pour que le souvenir des disparus continue de vivre, et pour que, la commémoration médiatique puisse être l’occasion d’interpeller les pouvoirs publics sur l’avancement de la recherche de la vérité, y compris lorsque l’institution judiciaire est saisie.

La commémoration doit aussi s’accompagner d’une démarche historique comme l’édification de musée dédié à l’événement : le mémorial du 11 septembre édifié en mémoire des attentats du 11 septembre à New York est un lieu permettant de mettre l’événement en perspective tout en rappelant la vie de chacune des victimes dont la photo et la voix sont diffusées, quand c’est possible. Les témoignages individuels des proches doivent être entendus car ils contribuent à l’édification d’une mémoire collective et d’un récit national indispensable pour les jeunes générations.

Conclusion

La mémoire traumatique est individuelle mais aussi collective. Le rôle du politique n’est donc pas aussi étranger à la restauration ou la réparation de la mémoire qu’il y paraît de prime abord. En premier lieu, il offre un cadre de bienveillance protectrice, au nom d’un projet de société qui doit intégrer un impératif de bien vivre, de mieux être. En second lieu, le politique doit produire du sens, pour les générations futures, en tentant d’inscrire l’insensé, ou l’inimaginable horreur dans une perspective qui doit redonner de l’espoir pour nous permettre de continuer à vivre ensemble le moins mal possible, le mieux possible.

[1] Avec activation des systèmes neuroendocriniens , Le livre blanc de l’aide aux victimes, sous la dir. De J. Méadel, M-A Piot et M Corcos, la documentation française, 2017.

[2] M. Salmona, https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/La-prise-en-charge-des-traumatismes-consecutifs-aux-attentats-juillet-2016.pdf

[3] Bouthillon-Heitzmann P., Crocq L., Julien H. (1992). Stress immédiat et séquelles psy- chiques chez les victimes d’attentats terroristes. Psychologie Médicale, 24(5), 465-72

[4] L. Crocq, « Secours psychologiques aux victimes d’attentats terroristes. Partie 1 : Tableaux cliniques relatifs aux attentats de 1986 et 1995 », Perspectives Psy 2016/4 (Vol. 56), p. 253-266.

[5] Ferreri et al.2011

[6] In « L’aide aux victimes, Livre Blanc. Statut et expérience des victimes, J. Barbot et Nicolas Dodier. Sous la direction de Juliette Méadel, Ed. La documentation française, mars 2017 ».

[7] Le Nouvel Ordre protectionnel : De la protection sociale à la sollicitude publique, Didier Vrancken, Parangon, 2010

[8] Corcos

[9] Bébés et traumas, T. Baubet, C. Lachal., Paris, 2006.

[10] Rapport remis à Juliette Méadel par Françoise Rudetzki, et chapitre 8 du Livre blanc de l’aide aux victimes, la documentation française, 2017.